« J’ai allumé ma caméra, tu peux allumer la tienne ? »
Je suis de plus en plus agacée par cette phrase.
Depuis 1 an, la visio semble être un recours systématique pour le moindre échange. La première fois que j’ai fixé un rendez-vous téléphonique à un interlocuteur et qu’en retour il m’a envoyé une invitation Teams pour une visio, j’ai été surprise. Après une dizaine de situations similaires je suis franchement interrogative : le téléphone parait avoir disparu des usages professionnels. Mais pour se poser une question ou aborder un point rapide, qu’apporte de plus la visio ?
« J’ai allumé ma caméra, tu peux allumer la tienne ? »
Cette question m’agace aussi parce qu’elle n’en est pas une. Sous couvert du point d’interrogation poli, en vérité on ne laisse pas le choix. Si vous ne souhaitez pas l’allumer vous vous retrouvez à devoir le justifier. Que vous vouliez simplement faire une pause de caméra, utiliser votre seul écran pour prendre des notes, ne pas utiliser trop de débit, ne pas montrer votre « bad hair day », bref quelque soit votre raison, la question vous oblige à vous justifier.
Or, dans un contexte où tout est devenu contrainte, où nos moindres déplacements doivent être expliqués, où l’on n’a plus la possibilité de garder étanche son cadre perso de son cadre pro, obliger à devoir se justifier parce que l’on estime qu’une visio sur un RDV à deux de 20mn n’a aucun sens : moi, ça m’agace profondément.
Si l’on n’a plus le choix de grand chose en ce moment, permettez-nous de conserver le choix d’allumer ou non notre caméra.
Mais vous savez quoi ? je suis une personne qui accepte de changer d’avis. Ça peut paraitre curieux, mais je suis même une personne qui aime qu’on la fasse changer d’avis : j’aime bien qu’on m’apporte des arguments ou un point de vue que je n’avais pas envisagé, comme si on m’ouvrait tout à coup un nouveau champ des possibles sur un sujet que je pensais tranché pour moi, bref j’aime qu’on me fasse changer d’avis mais il faut que les arguments soient intéressants. Et bien là les amis, sur cette question de la visio, j’ai lu, j’ai écouté, j’ai réfléchi, j’ai débattu, et je n’ai pas entrevu le début d’un argument solide sur ce sujet.
Un argument solide c’est un argument différent de « c’est quand même plus sympa de se voir », ça c’est un avis subjectif. Or demander à quelqu’un de faire l’effort d’allumer sa caméra parce que les autres « trouvent ça plus sympa », revient à se demander pourquoi tout le monde n’éteindrait pas sa caméra dès lors que certains ne trouvent pas ça plus sympa. Bref, on n’en sort pas.
Un argument solide c’est un argument différent de « je veux pouvoir contrôler que mon interlocuteur ne fait pas autre chose ». Petite question pour les adeptes du flicage : en réunion physique, quand la majorité des participants autour de la table pianote sur son pc, vous passez derrière chacun pour contrôler que se sont bien des notes sur la réunion qu’ils sont en train de prendre ? c’est une question rhétorique, je connais la réponse.
Quel point de vue désespérant que celui qui consiste à penser que si les collaborateurs ne sont pas surveillés alors ils ne sont pas sérieux, existe-t-il moyen d’être plus infantilisant que ça ?
De plus en plus d’articles ont récemment relayé l’inconfort de la visio systématique, notamment en termes de fatigue intellectuelle conséquence de la concentration accrue que demande la visio, des réflexions qui viennent me conforter dans mon constat : je vois plus de bonnes raisons de ne pas imposer la caméra et de laisser le choix, que de raisons de l’imposer.